De l'art de la provoc' / Provocateurs, trublions et anti-conformisme

Publié le par Jam

Nous vivons dans une sombre époque. L'élan de liberté folle qui s'est développé à la fin des 60's s'estompe de jour en jour : nos médias sont muselés, nos artistes baillonnés, et l'auto-censure durcie les langues, déjà de bois, de nos élites. En plus de ça, ça devient galère de payer son loyer et même s'offrir un simple grec salade/tomates/oignons est, pour certains, presque impensable en fin de mois. Y'a pas à dire, ça sent pas bon pour nos gosses. 

Les tabous s'accumulent en fonction des pays, des lieux, des histoires et des cultures. La France ne déroge pas à la règle. Ici, quelques irréductibles tentent, par soubresaut, de défendre le pays face à la vague pernicieuse du politiquement correct qui s'y abat depuis quelques années, mais ne parviennent pas à résoudre la quadrature du cercle (vicieux) qui s'impose à notre hexagone. Malheureusement pour l'émancipation de nos esprits embrumés par les soucis quotidiens, les vrais provocateurs semblent avoir disparus du champs de bataille. Ca fait maintenant un bail qu'on l'attend le mec qui devait nous sortir de la caverne. La lutte oppose, désormais, bigoterie à fausse provoc', "bien-pensants" à réacs', façon comédie musicale hollywoodienne des 50's. Si les premiers plongent dans le larmoyant tels des ours dans le miel, les seconds s'encanaillent dans le blasphème d'opérette. 

 

Taboo-jeux.jpg

 

Aujourd'hui comme hier, il semble que le meilleur moyen d'éveiller l'esprit de défiance du grand public soit l'humour. Malheureusement les humoristes actuels ne se complaisent qu'en quelques friponneries éparses et ne s'attaquent seulement en apparence au prince et à son fait. Rien de bien méchant, donc. Le cas du duo Guillon/Porte n'est que le reflet de la couardise et de la susceptibilité de Philippe Val et non la volonté de certains de nos dirigeants aux bras supposés longs de faire disparaître des bouffons de la Cour trop incisifs. Quant aux autres, ils ne sont que très peu politisés et évitent de se mouiller -peut-être- poussés par des DirCom flippés de ne plus être en mesure de leur trouver un créneau chez Arthur ou Drucker. Que dire des débats télévisés qui sont devenus au fil des années des causeries où la confrontation des idées s'étiole une fois certains sujets abordés au profit de stéréotypes vaseux savamment appris par coeur et recrachés à toutes les sauces. Si l'un des invités tente un écart de conduite, il se fait gronder par un animateur tout rouge et tout courroucé. Sauf chez Taddeï, mais ça vous le savez déjà.

 

Désormais, il semblerait que la provocation s'inscrive essentiellement dans le cadre de la promotion. Cette braderie télévisuelle est l'occasion pour un tas de créas faussement provoc' de refourguer un bouquin, un album, la réédition d'un bouquin, une compil' d'album ou -pourquoi pas- leur soeur. D'ailleurs depuis un moment, je sais pas si c'est moi, mais c'est un véritable carnaval. Entre Zemmour et ses déclarations obscures, Brunet et son prospectus faisant l'apologie d'un revival conservateur, et Ardisson qui allume un faux pétard chez Denisot, j'hésite entre me pendre ou fuir au Yemen pour pointer dans un camp d'entraînement militaire. 

 

Bon, après quelques secondes de réflexion, j'ai pas forcément envie de me jeter à corps perdu dans le combat contre ces chiens d'impérialistes américains. Puis j'me vois bien moi, râler parce que je trouve pas de prise dans le désert du Rub al-Khali pour synchroniser mon Iphone avec ma playlist Spotify, ou parce je me verrais refuser à coup de bottes en cuir une tarte à la fraise en dessert. Toutefois, voilà une liste non exhaustive, totalement subjective et dans le désordre, des provocateurs, des vrais, qui ont à tellement de reprises, su éveiller en moi rébellion, insoumission, contradictions et d'autres trucs en "ions" à caractère vindicatif. Ce compendium d'écrivains, d'artistes et de personnages se fera en deux ou trois articles, j'ai pas encore décidé. Bah ouais, ça prend du temps tout ça, et moi aussi j'ai envie de profiter du froid ambiant pour encore mieux savourer un café brulant au Wake Up Paris.

 

 

Marc Edouard Nabe

Marc-Edouard Nabe / Est-il encore besoin de le présenter. Bien sur que oui, au vue de l'omerta des médias quant à son cas. MEN a.k.a Alain Zannini (fils de Marcel, auteur du célèbre "Tu veux ou tu veux pas". Comme quoi...) c'est le symbole de la provocation à la française. Une provoc' racée, élégante, noble, bref littéraire. Nabe est l'un des auteurs les plus prolifiques de sa génération. L'un des plus doués, aussi. Son oeuvre est imprégnée de l'acide qui coule de sa plume, ou plutôt de "[son] Mont-Blanc rempli de haine". Après un passage plus que controversé chez le débonnaire Bernard Pivot en 1985, il se voit devenir l'écrivain à abattre, parfois celui qu'on aime haïr, souvent celui qu'on se doit d'haïr. Vingt-huit ouvrages, quelques traversées du désert, un coup de point asséné par Benamou, la publication d'un phénoménal journal intime et un voyage en Orient plus tard, Marc-Edouard s'impose déjà dans la lignée de ses idoles que sont Céline ou Rebatet. Après avoir été lâché par les éditions du Rocher et s'être exprimé par le biais de tracts affichés dans tout Paris, il invente le concept d'antiédition comme un dernier pied de nez au business de l'édition. Son dernier livre, l'homme qui arrêta d'écrire, est un carton. Normal. Personnellement, j'échangerai pas l'oeuvre complète de Houellebecq contre ne serait-ce qu'une seule page du Régal. C'est dit. 

 

 

Tommie Smith

Tommie Smith / Sincèrement, je regrette que beaucoup trop de nos têtes blondes élèvent des sportifs tels que Cristiano Ronaldo au rang d'idole. En oubliant des gars comme Smith. Tommie, c'est pour moi, l'emblème de ce que doit être le sport. Un modèle de classe et de noblesse.  Au soir du 16 octobre 1968, bien que légèrement handicapé par une blessure aux adducteurs, il remporte le 200 mètres et bat le record du monde en 19"83, devant l'australien Peter Norman et son ami et camarade de classe Jon Carlos. Au moment de la remise des médailles, les deux potes enlèvent leurs chaussures blanches et traversent la pelouse en chaussette noire, à leur cou un foulard et un collier, symbole du lynchage des Noirs. Une fois la main de l'officiel serrée et leurs médailles fusionnées à leurs torses, l'hymne national américain retentit. Devant la bannière étoilée, ils baissent la tête et lèvent leur poing ganté de noir, la main droite pour l'un, la gauche pour l'autre. N'ayant qu'une seule paire de gant, ils l'ont partagée. C'est la Stand for Victory. Ils seront suspendus de l'équipe américaine, pour ce geste montrant leur attachement à ce que les droits civils de leur communauté soient enfin respectés, geste souvent affilié au Black Panther Party. C'est tellement couillu comme geste que la photo trône encore fièrement dans ma piaule.

 

 

Pierre Desproges

Pierre Desproges / Pierre, on ne le présente plus, on le regrette. "L'humour, c'est le droit d'être imprudent, d'avoir le courage de déplaire, la permission absolue d'être imprudent", disait-il de sa voix pleine de malice. Desproges, c'est le modèle de beaucoup d'humoristes en herbe. De tous les humoristes en fait, même si très peu d'entre eux ont le talent pour l'accrocher. Doué d'une plume moqueuse à souhait combinée à une dose de poésie farceuse, il a dépeint, des années durant, le paysage politique et social qui l'entourait. Du journal l'Aurore à France Inter, ses textes grinçants se sont joués des codes. Desproges, c'est le seul mec capable de faire exploser de rire n'importe quel autiste cul-bénit lisant une de ces nombreuses chroniques, sans avoir à se vautrer dans la vulgarité ou la facilité. Avec lui, tout y est passé : le nazisme, le stalinisme, l'extrème droite, le socialisme, le cancer et Dieu. Il est l'auteur de la (trop) célèbre maxime "on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde", reprise partout depuis 2003 et le début de "l'affaire Dieudonné". Il manque cruellement au paysage des trublions français, et c'est pas les perspectives Elmaleh ou Roumanoff qui vont changer le parfum ambiant. Et, "Dieu me tripote",  ça c'est triste.

 

 

 

 

Publié dans Life

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article